Le féminisme

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Quiconque a déjà lu les commentaires sous un article qui dénonce le sexisme, tenté de se déclarer féministe dans une soirée ou essayé de débattre des droits des femmes avec des personnes peu sensibilisées sait à quel point les préjugés contre le féminisme s’ancrent dans l’ignorance — et, bien souvent, dans le refus d’apprendre. Il suffit généralement de prononcer les mots « patriarcat », « domination masculine », « culture du viol » ou « féminisme » dans une assemblée pour déclencher des rires ou des exclamations outrées (dans le meilleur des cas). Demandez ensuite aux moqueurs de définir ces termes : c’est une expérience du néant. Sur Internet, de nombreuses féministes s’attèlent donc à la lourde tâche de la sensibilisation. On voit depuis quelques années proliférer les Tumblr qui épinglent le harcèlement de rue, les standards de beauté et les publicités sexistes. Les féministes 2.0 essuient des tempêtes de tweets injurieux en commentant l’actualité. Des youtubeuses qui se spécialisent dans l’analyse des représentations subissent les foudres d’un public dépassé. Des femmes célèbres (actrices, chanteuses, politiciennes) prennent position contre le sexisme au risque de s’attirer de sérieux ennuis. Et on ose encore dire que les féministes sont agressives et dépourvues de patience !

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Parmi les nombreuses et belles initiatives de sensibilisation qui fleurissent sur le web et ailleurs, un petit livre indispensable vient juste de sortir aux éditions du Lombard, dans la collection « La petite bédéthèque des savoirs » consacrée à la vulgarisation scientifique. En plus de faire grimper le nombre d’auteures de cette collection à quatre (sur vingt-quatre auteurs au total — on attend leur album sur la parité…), il fournit un outil didactique vraiment bienvenu à celles et ceux qui auraient épuisé leur patience à essayer d’expliquer le féminisme à leur entourage. La couverture de l’album porte deux noms connus des gens qui fréquentent la blogosphère féministe : Anne-Charlotte Husson, la scénariste, est l’auteure du désormais célèbre blog Genre ! (et d’une myriade d’autres, car elle ne s’arrête jamais) et Thomas Mathieu, le dessinateur, est notamment à l’origine du Projet Crocodiles qui consiste à recueillir et à illustrer des témoignages de femmes harcelées ou agressées. Doctorante en sciences du langage spécialisée dans l’étude des discours antiféministes et du féminisme en ligne, Anne-Charlotte Husson a su concentrer la richesse de ses analyses dans des textes clairs, précis et surtout très accessibles. Thomas Mathieu ne se laisse pas submerger par ce foisonnement d’informations : il adopte un style faussement naïf, très coloré, qui se charge à merveille d’un propos souvent grave. On admire particulièrement ses trouvailles astucieuses pour mettre en image des notions complexes et abstraites comme le constructionnisme ou l’androcentrisme.

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Pour donner un aperçu aussi large que possible de leur ambitieux sujet, les auteurs ont choisi de s’appuyer sur sept slogans et citations qui ont marqué l’histoire du féminisme et qui en illustrent différents aspects :

« La femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune » (Olympe de Gouges)
« Le privé est politique »
« On ne naît pas femme, on le devient » (Simone de Beauvoir)
« White woman listen! »
« Nos désirs font désordre »
« Le féminisme n’a jamais tué personne, le machisme tue tous les jours » (Benoîte Groult)
« Ne me libère pas, je m’en charge ! »

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Droits fondamentaux, avortement, genre, féminisme noir, lesbianisme et militantisme : voilà déjà quelques thèmes importants que ce livre aborde avec un agréable mélange de rigueur et d’entrain. Bien sûr, l’album n’est pas exhaustif, c’est la croix des ouvrages de vulgarisation… mais il soulagera les féministes qui se fatiguent à réexpliquer continuellement les bases de leur engagement. Et si ce petit livre pourtant si bien conçu ne suffisait pas à convaincre, sa couverture rigide et ses angles pointus offrent toujours la possibilité de faire entrer littéralement Le féminisme dans les crânes les plus durs.

 


11 réflexions sur “Le féminisme

  1. Je suis surprise que tu ne remettes pas en question le choix d’UN dessinateur pour ce livre ?
    Je suis personnellement révoltée de voir un homme tirer un revenu du féminisme quand tant de femmes sont précaires parce que femmes, quand tant de militantes sont bénévoles, et surtout après ce qui s’est passé au FIBD cette année. Alors que les autrices BD créent un collectif contre le sexisme pour dénoncer leurs conditions de travail, on ne leur laisse même pas la priorité pour parler féminisme…

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    1. Eh bien, c’est sûr que c’est un problème. Je pense que l’éditeur a choisi Thomas Mathieu à cause du Projet Crocodiles et parce que (si je ne me trompe pas) Anne-Charlotte Husson et lui se connaissaient déjà (il me semble qu’elle avait fait la préface de son album). Après, Thomas Mathieu est un allié que j’ai toujours trouvé plutôt délicat : il a notamment cédé le projet à Juliette Boutant quand il a estimé qu’il n’était plus légitime pour le mener (il s’en explique dans cette note : http://projetcrocodiles.tumblr.com/post/124173395518/cest-reparti-httpjulietteboutantcom-et). Mais la collection du Lombard a un biais manifeste en faveur des auteurs masculins et l’éditeur a vraiment raté une occasion de faire quelque chose de sensé en choisissant deux femmes pour réaliser ce livre.

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      1. Oui j’avais bien vu qu’il avait cédé le projet… une fois que le livre était sorti, que le projet lui était associé à lui seul et qu’il en tirait déjà de la reconnaissance. Trop tard, en somme. J’ai VRAIMENT du mal avec le fait que la figure montante du féminisme en BD en France soit un homme.
        Bien sûr j’ai pleinement conscience des soucis liés au métier : faire de la BD c’est instable, souvent précaire, alors quand un éditeur te choisit pour faire un livre, intéressant qui plus est, tu sautes sur l’occasion ; et être auteur ne te donne pas un grand pouvoir décisionnel. Il n’empêche que pour moi Thomas Mathieu pique vraiment la parole aux femmes sur ce genre de projets – si on laisse même pas les femmes parler féminisme, que va-t-on leur laisser – et je me méfie de plus en plus de ce pseudo-allié. En tout cas merci pour ta réponse 🙂 ♥

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  2. Merci pour l’article !
    Oui le mot « féminisme » fait peur. En me promenant sur Internet l’autre jour j’ai lu une fille qui disait que le féminisme allait tellement loin que désormais c’était les hommes qui étaient écrasés…. Voilà où on en est. Personnellement, je suis très négative sur notre condition et je pense que malgré nos évolutions et certaines victoires acquises au XXème siècle, nous sommes encore très loin du but.

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    1. Oui, je suis complètement d’accord ! Il y a de forts courants réactionnaires qui s’opposent au féminisme en ce moment (mais je pense que c’était le cas à toutes les époques), et je suis sidérée de voir combien de jeunes femmes en font partie…

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  3. Merci pour l’article, et pour le livre ! Je suis en train de le lire et je le trouve très 1/ utile (ça manquait) 2/ efficace mais 3 un peu trop dense parfois : il faut relire parfois la page pour tout bien comprendre. Mais la mise en dessin est en même temps plein d’idées.
    Sur la question du dessinateur, il semble que c’est lui qui a donné la piste de cette collection dessinée projetée chez Lombard à l’auteure. https://cafaitgenre.org/2016/10/08/le-feminisme-en-7-slogans-et-citations-le-lombard-10e/
    Oui les auteures de BD doivent avoir bien plus de place. Il faut être vigilant. Mais ce serait dommage de mépriser justement ce livre là pour cela, non ?

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    1. Merci pour votre commentaire ! Je suis très contente que vous ayez eu envie de découvrir ce livre. Je comprends que vous le trouviez assez dense, mais je crois qu’il a été difficile pour la scénariste de trouver un juste milieu : du côté des milieux féministes, on a plutôt trouvé ce livre trop léger… Concernant le choix d’un dessinateur homme, il ne faut pas oublier que cela témoigne d’une invisibilisation systématique des auteures, même dans les domaines où elles ont une plus grande légitimité que des hommes. J’aime beaucoup Thomas Mathieu, mais il suffit de regarder les collections du Lombard pour constater que cet éditeur favorise largement les hommes. Pour autant, ça ne m’empêche pas de recommander ce livre très bien fait !

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      1. J’entends bien vos remarques. En outre, j’ai trouvé l’introduction du livre par le directeur de collection comme complètement prétentieuse et incongrue. Elle défavorise le travail de l’autrice, en voulant faire « masculin, donc plus sérieux, lui » : lamentable et ridicule !
        (PS : j’ai trouvé votre article parce que son image était utilisée comme bandeau de la sélection »féminisme » de WordPress. )

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